Elle plaçait dans des bocaux des êtres au statut indécis, flottant dans des solutions translucides. Ses somptueux reliquaires donnaient à voir dans des décors crépusculaires des corps martyrisés d’où jaillissaient sang, larmes et lait, enchâssés dans un écrin minutieux de papiers roulés. Elle retrouvait ainsi tout à la fois l’esprit des cabinets de curiosité et de la dévotion populaire, celui d’un monde où les frontières entre l’art et la nature, le rationnel et le merveilleux, la vie et la mort restaient incertaines.
Les œuvres présentées ici prolongent et renouvellent cette inspiration, en s’attachant particulièrement à la figure du tout-petit, dans un continuum qui va du fœtus au nouveau- né. Notre temps en a oublié la précarité, qui fait de leur mort prématurée un événement singulier et insupportable. Bien des fruits se perdaient alors pendant la grossesse ou l’accouchement, et pendant des siècles, on croyait que le tout-petit qui mourait avant d’avoir été baptisé était condamné à errer dans les limbes : un espace à part, qui n’était ni le paradis ni l’enfer, ni même le purgatoire. Et s’il venait au monde vivant, s’il était baptisé, il restait un être incertain pour qui la terre pouvait s’entrouvrir encore, un infans que ni la marche ni la parole n’avait fait passer complètement du côté de l’humain. Les œuvres de Murielle Belin rappellent cela, comme le feraient des vanités ou des tombeaux.
Si ses nouveau-nés minuscules et blanc sont environnés de ténèbres, la mort ne les guette pas comme une proie, au contraire : elle veille sur eux avec la patience d’une mère primitive, prête à les reprendre en son sein s’il le faut. Rien de religieux là-dedans, pas de salut à l’horizon, de Dieu au giron miséricordieux : juste un très vieux face-à-face entre le blanc et le noir, la vie et la mort, le recommencement et la fin. Ces blancheurs ont un revers. Les pleureuses de Murielle Belin ne sont pas celles qui, dans les funérailles solaires de l’Europe méridionale, étaient chargées d’exprimer hyperboliquement la souffrance et de chanter la louange du mort. Elles semblent cacher leur visage, au contraire, comme si la honte le disputait à la douleur. Comme dans l’Enfer de Bosch, ou dans le chaos mental d’une crise de furor puerpérale, flottent autour d’elles, échappées de la nuit, des figures possibles d’une faute et d’une tentation : accouplements monstrueux ou sabbatiques, nouveau-nés étouffants et toxiques, corps maternels mutilés et sacrifiés. Pulsions, cauchemars ou souvenirs, deuils, remords et expiations débordent de ces yeux tenus obstinément cachés et saturent de noir les mouchoirs.
Mort subite du nourrisson, malformations fœtales, psychose de l’accouchée… ces désastres rodent aux marges d’une maternité désormais encadrée et médicalisée. Le travail de Murielle Belin en exprime la résurgence discrète par le fil du linge dont la confection, l’entretien et l’ornement de jours et de dentelles relèvent d’un ouvrage quotidien de patience et de modestie, propre à l’univers féminin. Sur le linge s’imprime et s’écrit doucement le travail de la vie et de la mort, envers et endroit.
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COUVERTURE
Pleureuse (2014-2015). 30 x30cm. Peinture à l’huile, mouchoir, dentelle, bois.
TEXTE
Anne Carol
PHOTOS
Julien de Gasquet