… de la proximité avec la nature, qu’elle observe attentivement et garde en mémoire l’émotion du ciel violet qu’offrent les passages des tornades au Texas. Ce voisinage avec les phénomènes physiques naturels la sensibilise profondément à ce que la nature a de prodigieux. Cette aptitude à l’émerveillement devient sa force de travail ; l’observation de la nature et ce qu’elle produit, ses sources d’inspiration.
Pour cette exposition intitulée « Constellation », la jeune artiste a produit plusieurs dizaines de dessins repartis dans l’espace, aux formes abstraites, qui s’inspirent de phénomènes naturels à une échelle microscopique ou cosmologique. On y devine un engouement pour l’observation de ce qui n’est d’ordinaire pas donné à la vue, et qu’elle découvre par le biais de l’imagerie scientifique.
Les titres de ses séries de dessin reflètent ces procédés : sont représentées l’astronomie (les séries Planètes et Galileo), la microbiologie (Synapses), la météorologie (Storm, Cyclones), la physique (Courants, Haute Tension). Depuis ses premiers travaux, l’infiniment petit côtoie l’infiniment grand.
Ses dessins sont exécutés dans une grande variété de techniques (encre, pigments, graphite, pastels, charbon, crayon) et le support, le papier, est lui même parfois mis à rude épreuve. Il peut-être brulé, scarifié à l’aide d’une pointe, fragilisé au point de se percer. Ce travail sur la surface même du dessin apporte une sensation tactile et tend à effacer les trop froides connotations scientifiques. Souvent, un jeu d’ombre et de lumière permet de rendre magnifiquement les volumes, malgré la simplicité apparente de la composition. Pour la plupart ce sont des monochromes dont la palette est réduite aux seuls bleu, rouge et noir ce qui contribue à donner à ces dessins leur force d’image abstraite.
Cette constellation de dessins est un voyage imaginaire composé par une jeune artiste avide de paysages inédits et qui ne cherche pas à coller à une vérité scientifique. « La science est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais », écrivait Victor Hugo dans son William Shakespeare. Caroline cherche ce qu’il y a de définitif dans l’art, et non pas le relatif qui habite les sciences. Qu’importe Ptolémée, qu’importe Copernic. Caroline Corbasson interprète donc son héritage scientifique à sa manière en allant à l’essentiel, en éliminant le détail et l’anecdote. Elle privilégie les contrastes, amplifiés par des plages immenses de noir, de rouge ou de bleu. Elle fait plonger le réel de ses sujets dans un irréel sobre et tranchant. Tout reste cependant parfaitement vivant et doux à contempler.
Une alchimie se crée entre tous ses dessins. Des liens s’opèrent, à l’image de ses dessins de synapses, d’étincelles, de tensions électriques dans lesquels tout n’est que connexion ou ramification. On pense parfois aux toiles du peintre Irlandais Mark Francis chez qui existe aussi une connexion entre abstraction et image microscopique, fonctionnant en métaphore mutuelle. Le changement d’échelle, l’éclatement d’un phénomène microscopique aux dimensions humaines d’un dessin produit des révolutions. Même opération pour ces planètes, qui, réduite au format d’une feuille de papier ou dessinées à même le mur, en noir et rouge (« plus rouge que la flamme ») vivent une vie nouvelle.
Dans cette équation artistique réussie, Caroline parvient à donner une nature commune, une seule force aux théories scientifiques pourtant contradictoires de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
Marc Bervillé